Ci-après un article auquel j’ai participé. C’est vers la fin mais vous pouvez lire le début !

Ouest France

Êtes-vous solastalgique sans le savoir ?

Les enjeux climatiques, la possibilité d’un effondrement, tout cela vous travaille ? Alors vous êtes peut-être solastalgique. Solastal-quoi ? On vous explique.

La montée des eaux, la disparition d’espèces animales ou encore les catastrophes naturelles qui se multiplient, tout ça peut donner le tournis. Ou pire encore. Pour décrire ces sensations que l’on peut avoir face aux enjeux climatiques un mot a été inventé : solastalgie. Ce terme permet à ceux qui se sentent perdus, isolés, désolés, de se nommer et de se retrouver.

C’est quoi la solastalgie ?

On parle d’éco-anxiété et de solastalgie pour dire la même chose constate Charline Schmerber, psychothérapeute à Montpellier. En 2019, elle a créé un site pour vulgariser la notion de solastalgie : solastalgie.fr 

> Lire aussi : TÉMOIGNAGE. Solastalgique, Eléonore voit sa peur de l’effondrement se transformer en dépression

Ce néologisme a été inventé par le philosophe australien Glenn Albrecht au début du siècle. Le philosophe a créé ce terme pour définir le sentiment de tristesse ressentie par l’homme à cause de la perte de son habitat originel. C’est plus tard qu’il a été étendu à la crise environnementale actuelle.

Alice Desbiolles, médecin en santé publique spécialisée en santé environnementale, explique que la solastalgie, ça représente une forme de malaise individuel, mais aussi un malaise dans la civilisation. Cette palette d’émotions, on peut la ressentir quand on prend conscience d’un potentiel effondrement de nos sociétés.

Pour Alice Desbiolles, il y a un avant et un après la découverte de ce néologisme. Ça a fait écho à tous ces questionnements que je pouvais avoir. En 2019, elle publie le premier papier français sur ce sujet. Je me doutais bien que je n’étais pas spécialement la seule et j’ai ce devoir d’informer en tant que médecin. Un an plus tard, elle se prépare à sortir le premier livre qui traite de la solastalgie.

Comment ça se traduit ?

Avant toute chose, la solastalgie ou l’éco-anxiété, ce n’est pas forcément une maladie mentale », souligne Alice Desbiolles. La solastalgie se traduit par un panel d’émotions comme de la tristesse, de la frustration, de la colère. Physiquement, cela peut se traduire par une attaque de panique quand on va entendre une mauvaise nouvelle ou on peut avoir mal au ventre, des symptômes vraiment physiques de panique et de peur.

Généralement, il y a un sentiment de solitude et de devoir. Alice Desbiolles aime à comparer les solastalgiques à des Atlas de l’environnement parce qu’ils ont l’impression de porter le monde sur leurs épaules.

Lors de son enquête, Charline Schmerber questionne l’origine de la solastalgie, et constate que la cause n’est pas essentiellement environnementale. Elle remarque que la tristesse ou encore les angoisses des participants sont liées à un ensemble, c’est tout un système qui dysfonctionne et qui est en train de peut-être s’effondrer, c’est ça qui fait peur.

En regroupant les questionnaires elle calcule que 30 % des gens sont figés, tombent dans des pensées obsessionnelles, n’arrivent pas à dormir, voire ont des pensées suicidaires.

Pour la psychothérapeute il y a un vrai sujet, il y a un problème, ce n’est pas l’invention des médias. Selon elle, on est tous touché par l’éco-anxiété ou la solastalgie.

Elle se rend compte, que les patients qu’elle suit se trouvent dans une forme de culpabilité. Le solastalgique atteint une conscience telle des causes et effets, qu’il ne supporte plus certaines habitudes. Comme les conducteurs solitaires, ou encore prendre l’avion avec le bilan carbone que cela implique. C’est ce qu’on appelle la dissonance cognitive, c’est un ressenti de gêne à l’intérieur de soi résume Charline Schmerber. C’est un bon indicateur. Quand on ressent de la dissonance cognitive, ça permet de travailler dessus.

Elle donne son propre exemple, après une prise de conscience sur l’impact extrêmement polluant d’internet. Pour réduire sa dissonance cognitive, elle a arrêté son abonnement internet.

Alice Desbiolles, médecin en santé publique spécialisée en santé environnementale |

LUCIE WEEGER

Est-ce que ça vient d’un coup ou progressivement ?

La solastalgie c’est un cheminement personnel et intime, au sein duquel il y a différentes étapes. Alice Desbiolles a déterminé quatre étapes par lesquelles peut passer un individu solastalgique.

La première correspond à l’insouciance, l’individu n’a pas encore eu de prise de conscience environnementale. Elle le définit comme l’ère pré-solastalgie.

Ensuite, il y a l’étape deux, où on va commencer à prendre conscience d’un problème. Par exemple, le constat de l’accumulation de déchet, l’individu va adopter un mode de vie zéro déchet, c’est une phase encore dynamique. La médecin parle de solastalgie simple.

La troisième étape se présente comme la solastalgie complexe, où on commence à se rendre compte qu’il y a plusieurs problèmes.

Enfin, la quatrième étape est la solastalgie globale, où on prend conscience que tous les problèmes sont interconnectés. Cette étape peut être particulièrement douloureuse. L’individu comprend que tout est lié. De fait, conduire une voiture électrique est tout aussi problématique qu’avoir une voiture Diesel. L’extraction des Terres Rares pour la fabrication des batteries est très polluante. En général, c’est tellement vertigineux que les personnes ne s’attardent pas dans cette phase, et elles repartent à la solastalgie complexe. Si elles s’attardent, c’est à ce moment-là où on peut déboucher sur des pathologies comme la dépression.

C’est comme une dépression ?

Les solastalgiques peuvent être mal perçus dans nos sociétés. Dès qu’on parle d’émotion, on a l’impression qu’on a en face de nous des personnes qui vont être dépressives, fragiles. Ce n’est pas du tout valorisé, la fragilité.

Selon elle, une chose est certaine : la solastalgie ce n’est pas une angoisse sclérosante, noire, une mélancolie qui va vous condamner à l’inaction et au malheur

Les personnes à plaindre ne sont pas les solastalgiques, selon la médecin. Je pense qu’il y a énormément de personnes dans notre société actuelle qui sont malheureuses.

Elle pointe du doigt la frustration que peuvent procurer nos sociétés consuméristes. L’incitation aux récits communs avec l’accumulation de bien, de voyages, d’expériences, de sensations. Si possible, à l’autre bout du monde, autrement ce n’est pas très intéressant.

Elle regrette que les solastalgiques soient perçus comme les cassandres de service, alors que si on regarde bien c’est la peur qui nous maintient en vie depuis des millénaires. Pour Alice Desbiolles, la solution est simple : Si on avait tous peur, si on était tous un petit peu éco-anxieux, peut-être qu’on prendrait les bonnes décisions

Charline Schmerber, psychothérapeute spécialisée dans l’éco-anxiété, à Montpellier pendant un atelier pour se reconnecter à la Nature. |

LUCIE WEEGER

Est-ce que ça se soigne ?

La solastalgie n’étant pas en soi une maladie, ça ne se soigne pas. En revanche il y a des moyens de l’apaiser. Pour aider un solastalgique, Charline Schmerber donne cinq conseils.

Le premier est d’accueillir les émotions de la personne solastalgique. Elle remarque que ses patients expérimentant ces angoisses ont peur de ne pas être compris, la peur d’être fou. Écouter sans juger et surtout sans contester. Nommer nos émotions va permettre à chacun de comprendre qu’on parle le même langage.

Le deuxième conseil pour la psychothérapeute est de ne pas mentir. Je pense que le discours rassurant, ce n’est pas une bonne manière de faire indique Charline Schmerber. Elle encourage à ne pas mettre de baume. Et de rassurer : oui, il y a des raisons de s’inquiéter.

Le troisième conseil c’est de connaître ses limites. Même si la solastalgie n’est pas pathologique en soi, ça peut devenir problématique remarque Charline Schmerber.

Si on sent que notre enfant, ou notre copain, tombe dans quelque chose qui est extrême d’un point de vue émotionnel, c’est bien d’inviter la personne à contacter un psy ou à rejoindre un groupe de parole animé par un thérapeute. Charline Schmerber s’interroge sur le rôle que la psychothérapie a à jouer dans ces effondrements intérieurs : je pense que ce qui fait la complexité de ce sujet-là, c’est qu’il est nécessaire que le praticien puisse se relier à la cause.

Le quatrième conseil c’est peut-être inviter son proche à aller rejoindre une association qui traite des sujets qui le préoccupe. Elle conseille de faire des choses qui ont du sens pour soi-même, telles que s’engager dans une association, changer de métier ou déménager si nécessaire, un peu de permaculture dans une ferme citadine par exemple, ou encore participer à un supermarché coopératif.

Et enfin, le cinquième conseil est de se reconnecter à la Nature. Ça peut être dans des parcs, s’il y a accès à des endroits un peu plus préservés. On ne peut pas être bien avec le monde vivant si on en est déconnecté », assure-t-elle.

Peut-on en tirer quelque chose de positif quand même ?

Pour Alice Desbiolles, il n’y a pas de fatalité » : la solastalgie est un levier positif. La plupart des personnes solastalgiques appellent à un changement d’organisation, dans la façon de concevoir. La médecin insiste sur le fait que l’humain n’est pas programmé pour détruire.

Alors, la médecin imagine un monde qu’on aurait repeint en vert. Où les villes seraient des jungles urbaines. Où les enfants iraient à l’école dans la forêt.

Enfin, elle suggère d’arrêter de se focaliser sur les constats, je pense qu’on a compris, alors maintenant qu’est-ce qu’on fait ?

Pour Katell Duclos-Le Saout, psychothérapeute à Saint-Brieuc, il faut suivre la légende du Colibri et faire sa part. Elle insiste sur le fait que nous ne sommes pas tous des Greta Thunberg. L’important c’est de créer du lien avec ses idées et entre les humains. Katell Duclos-Le Saout organise des Café Psycho pour justement réunir des personnes isolées autour de ces problématiques. Le mot d’ordre est de s’écouter et c’est ainsi que les choses peuvent changer en soi et pour tout le monde.

Ouest France

Lucie Weeger – 24/06/2020